L’insuffisance cardiaque, devenue la première cause de mortalité mondiale, pose un défi médical sans précédent. Dans ce contexte, CARMAT révolutionne l’approche du secteur au-travers d’une solution durable pour le traitement de l’insuffisance cardiaque terminale. Focus.
Informations Entreprise : Comment évaluez-vous l’impact du fléau de l’insuffisance cardiaque sur les systèmes de santé européens ?
Stéphane Piat (DG de CARMAT) : Au niveau européen, des experts comme le Professeur Marco Metra de l’hôpital de Brescia, avec qui j’ai eu l’occasion de discuter récemment, nous éclairent aujourd’hui sur la complexité de l’insuffisance cardiaque. Cette maladie, relativement récente et complexe, a nécessité près de vingt ans pour comprendre comment traiter les patients au début de la maladie. Cette période a permis de mieux utiliser les médicaments disponibles.
Aujourd’hui, notre travail se concentre sur l’assistance cardiaque avancée, destinée aux patients en phase terminale de la maladie. Ces cas, auparavant inexistants, sont désormais une réalité que nous devons affronter. Le traitement de l’insuffisance cardiaque avancée est une discipline récente, complexe et difficile, qui nécessite du temps et de la recherche.
I.E : Quels sont les principaux défis et opportunités que vous voyez dans le développement et la commercialisation de solutions mécaniques ?
Stéphane Piat : Il y a encore trente ans, les infarctus du myocarde étaient la principale cause de décès en cardiologie, et la question de l’insuffisance cardiaque ne se posait guère. L’évolution des traitements des valves et des artères a permis de prolonger la vie des patients, amenant désormais à traiter la défaillance du muscle cardiaque lui-même. Si les médicaments ont constitué une avancée majeure pendant des années, ils deviennent
insuffisants à un certain stade de la maladie, nécessitant ainsi de nouvelles solutions. Il y a cinquante-quatre ans, les premières transplantations cardiaques ont vu le jour, mais cette option reste complexe et limitée par la rareté des donneurs. D’autres approches, telles que les greffons animaux et les injections de cellules souches, se sont avérées inefficaces. La thérapie génique, bien que prometteuse, demandera encore beaucoup de temps.
Face à ces défis, l’industrie s’est tournée vers les solutions mécaniques. Le concept de cœur artificiel a prouvé sa faisabilité, notamment avec le dispositif américain SynCardia, implanté chez deux mille patients en soixante ans. Cependant, cette technologie ancienne a conduit à la recherche de cœurs de nouvelle génération. Aujourd’hui, nous sommes les seuls à proposer une technologie aussi avancée et déjà disponible pour les patients, offrant ainsi une nouvelle option de traitement.
I.E : Pouvez-vous détailler les grandes lignes de la solution CARMAT ?
Stéphane Piat : Contrairement aux autres sociétés qui partent des technologies disponibles, notre démarche est centrée sur la résolution du problème clinique de l’insuffisance cardiaque. Les autres entreprises ont tenté d’adapter des technologies mécaniques existantes à cette pathologie, ce qui a entraîné des complications cliniques importantes telles que les accidents vasculaires cérébraux et les troubles gastro-intestinaux.
Le processus R&D de CARMAT diffère fondamentalement. Nous avons identifié le problème clinique et développé une technologie spécifique pour le résoudre, aboutissant à la création du cœur artificiel Aeon®. Cette méthode nous a permis de concevoir un dispositif médical qui ne génère pas de complications cliniques. Le cœur artificiel Aeson® est le premier cœur artificiel physiologique grâce à 3 propriétés principales : l’hémocompatibilité, la pulsatilité et l’auto-régulation. C’est-à-dire pour l’hémocompatibilité, que les matériaux en contact avec le sang permettent d’éviter les thromboses, ou infections ; pour la pulsatilité, le cœur reproduit un pouls, comme un vrai cœur ; et enfin l’autorégulation, la prothèse va adapter sa fréquence cardiaque selon les besoins du patient, de façon autonome.
I.E : Quels sont les principaux défis que vous rencontrez pour convaincre les centres de soins d’adopter votre technologie ?
Stéphane Piat : Je dirais que notre dispositif est le plus sophistiqué qui existe dans le domaine médical. C’est un appareil intelligent, que l’on pourrait qualifier de ‘plug and play’ : une fois installé, il fonctionne de manière autonome, sans besoin d’y apporter des réglages à posteriori, ce qui est assez unique. Notre dispositif est doté d’un logiciel et d’une carte électronique novatrice, reproduisant le fonctionnement du coeur humain, voire mieux, et offrant une marge d’évolution considérable grâce à des mises à jour logicielles possibles. C’est un véritable ‘smart device’, distinct de toutes les autres solutions disponibles.
Le passage du prototypage à la production est toujours délicat, mais nous avons surmonté ces obstacles grâce à notre site de production, le plus moderne et le plus important au niveau mondial pour les cœurs artificiels.
Nous travaillons désormais à développer le marché. Malgré l’existence de la maladie, l’absence de traitements a rendu nécessaire la création d’une demande structurée. Nous devons accompagner les centres de soins pour établir le parcours patient et les convaincre d’adopter notre thérapie, en s’appuyant sur les données limitées mais prometteuses que nous avons collectées.
I.E : Comment percevez-vous l’avenir ?
Stéphane Piat : Nous avons identifié deux principales indications pour nos cœurs artificiels. La première, à moyen terme, est le pont vers la transplantation. Cela consiste à implanter notre dispositif chez des patients en attente d’un cœur humain, afin de leur permettre de survivre jusqu’à ce qu’un greffon soit disponible. Cette approche, bien que temporaire, est cruciale pour sauver des vies aujourd’hui, mais ne concerne que des patients qui peuvent être mis sur liste d’attente, excluant des patients contre-indiqués pour la transplantation, tel que les patients ayant des cancers.
Cependant, notre vision à long terme, et le cœur de notre marché, est d’utiliser notre cœur artificiel Aeson® comme solution définitive, jusqu’à la fin de la vie des patients. Nous nous préparons activement à cette thérapie définitive. La phase actuelle du pont vers la transplantation est une étape intermédiaire essentielle. Elle nous permet de perfectionner notre produit pour qu’il ait une durée de vie prolongée et puisse ainsi répondre aux besoins des patients jusqu’à leur dernier jour. Cela permettra également d’élargir le pool de patients traités, offrant ainsi une solution aux patients contre-indiqués à la transplantation cardiaque.
Cette première étape est non seulement stratégique pour atteindre la rentabilité, mais elle nous offre aussi l’opportunité d’apprendre et de perfectionner notre technologie. Notre objectif est de proposer un produit durable, capable d’accompagner les patients jusqu’à la fin de leur vie, tout en leur offrant une bonne qualité de vie.
I.E : Quels sont les principaux axes de développement technologique pour maintenir l’avance de CARMAT dans le domaine des cœurs artificiels ?
Stéphane Piat : Le marché devra s’appuyer sur des solutions mécaniques comme le cœur artificiel pendant encore au moins une décennie avant que des alternatives plus sophistiquées, comme la thérapie génique, ne soient envisageables. Nous disposons déjà d’une technologie en avance de plus de dix ans sur les projets en développement.
Notre objectif est de maintenir et d’accroître cet avantage en développant de nouvelles caractéristiques pour notre produit. Actuellement, nous sommes les seuls à générer des milliards de données par semaine, essentielles pour comprendre le fonctionnement du dispositif et l’état du patient. Aujourd’hui, ces données sont accessibles via une carte SD, mais nous souhaitons à l’avenir les récupérer à distance.
Un autre projet d’avenir est de supprimer le câble reliant la prothèse aux batteries externes, en développant un système entièrement intégré dans le corps, similaire à ce qui a été fait pour les pacemakers et défibrillateurs il y a plus de trente ans. Nos deux priorités à court et moyen terme sont donc l’accès aux données à distance et l’élimination des batteries externes. À long terme, nous envisageons de réduire la taille de notre dispositif pour le rendre accessible à tous les patients, y compris les plus petits.