Confrontée à une crise sans précédent, l’industrie aéronautique cherche son second souffle. Au coeur de cette tempête, Centrair met en place une stratégie axée sur l’intégration verticale et l’adaptabilité, au service de ses clients. Faisons le point.
Informations Entreprise : Quels sont les principaux défis auxquels Centrair doit faire face dans le contexte post-COVID, et comment l’entreprise s’adapte-t-elle à cette nouvelle réalité?
Didier Beninca (PDG de Centrair) : La crise du COVID-19 a gravement affecté notre secteur : les avions volant moins, la demande d’avions neufs a chuté, entraînant une diminution des commandes pour les sous-traitants comme nous. Cette situation a entraîné une récession significative, réduisant de moitié notre chiffre d’affaires.
Gérer cette crise a été un défi à plusieurs niveaux : opérationnel, social et économique. Heureusement, nous avons bénéficié du soutien de l’État à travers diverses mesures telles que les prêts garantis par l’État (PGE) et des dispositifs de la BPI. Malgré cela, nous avons dû mettre en oeuvre des plans de sauvegarde de l’emploi pour ajuster nos activités. Nous avons aussi bénéficié de soutien de clients dans cette période.
Aujourd’hui, la phase post-COVID présente un nouveau défi. Bien qu’il y ait une reprise d’activité, celle-ci est complexe en raison des difficultés d’approvisionnement. La chaîne de valeur tout entière a été impactée. Cette reprise génère une forte demande, exigeant plus de matériaux, d’éléments sous-traités et de main-d’oeuvre, mais trouver les bonnes ressources au bon moment devient donc un défi majeur.
En outre, cette période a fortement impacté la trésorerie des entreprises, créant des problèmes de liquidités. Nous cherchons activement des solutions pour surmonter ces difficultés. En parallèle, nous travaillons sur la réintégration et la formation de nouveaux collaborateurs pour répondre efficacement à la demande du marché. Voilà la situation actuelle chez Centrair : une période de redémarrage difficile, mais nous sommes déterminés à surmonter ces défis.
I.E : Quelles stratégies avez-vous adoptées concernant les investissements et les opportunités de croissance ?
Didier Beninca : Face à la crise induite par la pandémie, Centrair a eu deux options stratégiques. La première aurait été de se contracter, avec une activité réduite de moitié, entraînant des réductions massives de nos ressources et de nos structures. La seconde, que nous avons choisie, consistait à tirer parti de cette période difficile pour explorer de nouvelles opportunités de croissance, soit par le biais de diversification interne, soit par croissance externe.
Nous nous sommes orientés vers des secteurs de haute technologie exploitant les composites, un domaine où notre expertise est reconnue. Nous avons renforcé notre présence dans le secteur naval et accru notre implication dans le domaine de la défense. Par ailleurs, nous avons élargi notre champ d’action au secteur des transports dans son ensemble.
Concernant la croissance externe, nous avons saisi l’opportunité de reprendre des sites industriels cédés par d’autres entreprises en restructuration. Par exemple, nous avons acquis le site de Saint-Julien- De-Chédon (ex-Daher), proche de notre centre historique du Blanc.
Cette acquisition a immédiatement doublé notre taille, nous offrant une capacité industrielle accrue sans nécessiter d’investissements majeurs. Grâce à cette stratégie, nous sommes en mesure de tripler notre activité sans investissements supplémentaires significatifs. En dépit des défis liés à la trésorerie à court terme, nous avons parié sur cette capacité étendue pour être prêts à répondre à la demande croissante.
I.E : Comment Centrair maintient-elle sa compétitivité dans l’industrie aéronautique face à la concurrence des pays émergents ?
Didier Beninca : Notre modèle opérationnel repose sur une structure légère, souple, et agile. Notre organisation est conçue pour être réactive et efficace, avec des équipes capables de répondre aux exigences techniques, de qualité et de gestion opérationnelle.
Certes, notre taille réduite peut parfois être un défi lors des interactions avec de grands clients, où notre représentation plus modeste en réunion peut susciter des remarques. Cependant, c’est précisément notre structure allégée qui nous rend compétitifs. Cette compétitivité est d’autant plus cruciale que de nombreux clients développent leurs capacités dans des pays à coûts de production inférieurs, ce qu’on appelle les «best cost countries». Ces marchés émergents représentent effectivement une concurrence directe pour nous.
Notre réponse à ce défi a été de miser sur la qualité et la ponctualité, des standards incontournables dans l’industrie aéronautique. Malgré l’absence d’activités dans des pays comme le Maroc ou en Europe de l’Est, où la main d'œuvre est moins coûteuse, notre capacité à nous adapter rapidement aux besoins changeants de nos clients est la raison pour laquelle ils continuent à faire affaire avec nous. Cette adaptabilité est clé pour notre succès continu dans un secteur très compétitif.
I.E : Comment Centrair parvient-elle à concilier la nécessité d’une main d’œuvre importante et qualifiée avec le maintien de sa compétitivité ?
Didier Beninca : Notre expertise dans la fabrication de pièces composites et celle de sous-ensembles intégrés (composite + métallique) est un atout distinctif. Nous produisons des pièces de structure et d’aménagement intérieur pour des avions et des hélicoptères. L’utilisation de technologies avancées, comme le contrôle non destructif, nous permet de garantir la santé matière de ces composants. Cela a été crucial, par exemple, dans le développement de notre relation commerciale avec Airbus Hélicoptères.
Nos sites de production disposent en effet d’équipements spécialisés, renforçant notre position sur le marché. La fabrication de nos pièces composites, en fibre de verre, carbone et kevlar, exige une main-d’oeuvre qualifiée et attentive, car la nature complexe et les faibles cadences de ces produits rendent difficile leur automatisation.
Nous combinons qualité, ponctualité, et proximité logistique pour répondre aux attentes de nos clients, y compris dans le secteur de la défense, où nous travaillons avec des acteurs majeurs comme MBDA. C’est cette combinaison de réactivité, de présence, d’agilité et de compétitivité qui nous maintient dans une position favorable sur le marché.
I.E : Quelle est la vision stratégique de Centrair pour les années à venir ?
Didier Beninca : La nécessité de continuer à se structurer est évidente. Actuellement, la chaîne de valeur en France est très fragmentée avec un grand nombre de sous-traitants.
L’intégration verticale, loin d’être un concept abstrait, est une étape cruciale pour l’avenir. Chez Centrair, nous achetons actuellement 50% de ce que nous vendons, et envisageons sérieusement de réduire le nombre de nos fournisseurs par des opérations de croissance externe, des fusions et/ou des coopérations.
Cette intégration permettrait de simplifier la chaîne d’approvisionnement pour nos clients, en réduisant le nombre de sous-traitants impliqués et en augmentant la valeur ajoutée de nos produits. Une telle démarche rendrait le produit final plus compétitif pour le client tout en améliorant la réactivité et la flexibilité de l’intégrateur, grâce à une maîtrise complète de la chaîne de production.
Notre objectif est d’atteindre une taille critique (100M€) qui renforcerait notre position sur le marché. Cela peut être réalisé par la croissance interne, en développant des secteurs complémentaires comme la défense, le transport, et autres, ainsi que par la croissance externe, qui s’inscrit dans la stratégie d’intégration verticale.
I.E : Comment les grandes entreprises de l’aéronautique peuvent-elles optimiser leur collaboration avec les sous-traitants ?
Didier Beninca : Il est aujourd’hui crucial pour les grands acteurs de l’aéronautique français de poursuivre et renforcer leur collaboration avec les chaînes de sous-traitance. Cette démarche est essentielle pour le succès de l’ensemble du secteur.
L’efficacité et la compétitivité des sous-traitants, se répercutent directement sur la performance de ces géants de l’aéronautique. En livrant des pièces de qualité et dans les délais, nous contribuons significativement à leur compétitivité sur le marché mondial.
Il est important que ces grandes entreprises s’adaptent à la diversité de leurs fournisseurs qui varient en taille et en capacité. Il est essentiel d’établir des processus adaptés à cette hétérogénéité, permettant aux petites entreprises comme la nôtre de collaborer efficacement avec les grands acteurs. Cette synergie doit être mutuellement bénéfique et favoriser notre croissance vers une taille critique qui facilitera la gestion de la chaîne de valeur pour tous.