Une carte pour soigner le système
- Charlotte Combet
- il y a 2 minutes
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Le tiers payant est devenu un casse-tête coûteux, lent et opaque, aussi bien pour les professionnels de santé que pour les assurés. Délais de remboursement interminables, impayés chroniques, fraudes massives : le système vacille. Et si la solution tenait en une carte de paiement intelligente ? C’est le pari de 3Pay, une fintech française qui entend révolutionner le règlement des soins grâce à une technologie en temps réel, déjà plébiscitée par les organismes complémentaires de santé.
Informations Entreprise : Pourquoi avoir choisi d’interroger directement les acteurs du système de tiers payant, et qu’en avez-vous tiré comme enseignements principaux ?
Jérémy Benhaim (Président et co-fondateur de 3Pay) : En 2019, nous avons initié une vaste enquête terrain pour comprendre les failles du système de tiers payant en France. Plutôt que de nous contenter des rapports institutionnels et médiatiques, nous avons donné la parole à ceux qui vivent ce système au quotidien : plus de 500 professionnels de santé, assureurs, mutuelles, gestionnaires, courtiers et assurés.
Ce travail, mené dans le cadre d’un Executive MBA à l’ESSEC, nous a permis d’identifier un constat unanime : le tiers payant est perçu comme une charge lourde, en particulier par les professionnels de santé. Ils dénoncent des délais de remboursement trop longs, un poids administratif considérable, et des impayés pouvant atteindre 5 % de leur chiffre d’affaires. Aujourd’hui, seuls 10 % des praticiens y adhèrent pleinement. Ce dispositif, censé simplifier le parcours de soin, est en réalité une source majeure de complexité et de surcharge pour les acteurs de santé.
Quelles sont, selon vous, les principales limites du tiers payant aujourd’hui, tant pour les assureurs que pour les assurés ?
Le système de tiers payant est aujourd’hui à bout de souffle. Du côté des assureurs et mutuelles, les frais de gestion représentent une part significative dans l’assiette des cotisations : en moyenne 20% y sont consacrées, entre frais techniques, commerciaux et administratifs. Ce système repose sur un oligopole, avec seulement trois opérateurs majeurs en France, ce qui limite fortement l’innovation.
Le système est aussi générateur de fraudes massives – estimées à 4 milliards d’euros par an – et source d’insatisfaction pour les assurés : retards de remboursement, démarches complexes, multiplication des outils à gérer… 30 % des appels entrants des mutuelles concernent des problèmes liés au tiers payant. Et malgré ce dispositif, un Français sur trois continue de renoncer aux soins, faute de moyens ou de lisibilité. Il est urgent de réinventer des solutions plus simples, plus justes et plus efficaces.
Comment fonctionne concrètement la solution développée par 3Pay ?
Nous avons développé une carte de paiement MasterCard, physique ou virtuelle, qui permet à chaque assuré de régler instantanément tous ses frais de santé, quel que soit le professionnel de santé consulté. Grâce à notre technologie, dès que la carte est insérée dans le terminal de paiement bancaire du professionnel de santé, une autorisation s’effectue en temps réel sur nos serveurs. Toutes nos données sont hébergées dans un datacenter en cloud basé en France et respectent la règlementation de protection des données.
Nous exécutons alors des règles assurantielles et bancaires qui nous permettent d’avancer les sommes dues – soit le complément, soit la totalité du montant si le professionnel n’applique pas le tiers payant. L’assuré est ensuite prélevé en une ou plusieurs fois. Cela réduit les frais de gestion pour les mutuelles, limite les fraudes, assure un paiement immédiat au professionnel de santé et offre aux adhérents une expérience fluide. Notre objectif est de regrouper toutes les cartes nécessaires aux soins en une seule, connectée et intelligente, pour recentrer l’attention sur l’essentiel : se soigner.
Quel est l’impact de la solution 3Pay sur la trésorerie et la charge administrative des professionnels de santé ?
Pour les professionnels de santé, l’avantage de notre solution est clair : ils sont payés immédiatement, quel que soit le mode de facturation. C’est un changement majeur, en particulier pour ceux qui appliquent le tiers payant. Aujourd’hui, lorsqu’un praticien accepte ce dispositif, il doit attendre des remboursements de la Sécurité Sociale et des mutuelles, avec des délais qui peuvent aller de 6 à 8 jours minimum… jusqu’à 3 mois dans certains cas, notamment en clinique.

Et cela sans garantie, car la simple présentation d’une carte papier de tiers payant n’assure pas un paiement effectif. C’est une promesse, souvent incertaine. Notre technologie élimine cette incertitude : nous avançons 100 % des frais, y compris lorsque le médecin refuse le tiers payant. Résultat : réduction du risque d’impayés – qui peut atteindre 3 % en ville, et jusqu’à 20 % à l’hôpital – et sérénité pour les praticiens. C’est une avancée concrète pour leur quotidien.
Au-delà de la santé, envisagez-vous d’étendre l’usage de votre solution àd’autres domaines assurantiels ou à l’international ?
Historiquement, 3Pay s’est concentrée sur la santé humaine, mais la demande terrain nous pousse aujourd’hui à élargir notre champ d’action. Nos clients – mutuelles, assureurs, courtiers – souhaitent désormais retrouver les bénéfices de notre solution sur d’autres verticales. C’est le cas, par exemple, de la santé animale, un marché en pleine croissance à
l’échelle européenne, avec une demande croissante de remboursement instantané des soins vétérinaires. On nous sollicite également sur l’assurance auto et MRH (habitation...).
Prenons l’exemple d’un accident de voiture : entre l’expertise, le devis, la validation de l’assureur et le règlement au garagiste, le processus peut prendre une semaine. Avec 3Pay, ce cycle pourrait être réduit à une heure grâce à un paiement instantané déclenché depuis notre application. Par ailleurs, nous regardons deprès des marchés européens comme le Luxembourg, la Belgique, l’Italie ou l’Espagne, où des dispositifs d’avance santé sont déjà en place. L’ambition est claire : dupliquer notre modèle, là où il répond à un besoin.
Quelle est votre vision à moyen et long terme pour le système de paiement en santé, et comment l’intelligence artificielle pourrait-elle y jouer un rôle central ?
Nous sommes à l’aube d’une transformation profonde du système de santé, et plus particulièrement du tiers payant. Le modèle actuel, fondé sur des infrastructures vieillissantes et des processus opaques, devient économiquement intenable. Le remboursement des soins représente 260 milliards d’euros par an, et la Sécurité sociale, structurellement déficitaire, emprunte désormais tous les deux jours pour tenir ses engagements. Ce système, maintenu par crainte du changement, freine l’innovation.
Pourtant, les attentes sont claires : nos clients souhaitent abandonner la carte de tiers payant papier, incomprise des assurés, au profit d’une carte de paiement unique, intuitive et universelle. À terme, cette carte sera connectée à tous les cartes utilisées pour régler un soin (carte vitale, carte tiers payant et carte bancaire personnelle). Par ailleurs, les normes informatiques actuelles, datant des années 70, ne sont plus adaptées. Demain, ce sont les flux bancaires et l’intelligence artificielle qui structureront les remboursements santé. Notre vision : une plateforme qui orchestre ces flux en temps réel, de façon automatique et sécurisée.