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De la science aux villes


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Mesurer pour agir : c’est le nerf de la guerre climatique que trop peu de territoires maîtrisent encore. Données obsolètes, approches théoriques, absence de précision géographique… les collectivités avancent souvent à l’aveugle. ORIGINS.EARTH entend combler ce vide stratégique. Grâce à sa plateforme MétéoCarbone, l’entreprise propose une mesure ultra-fine et en temps réel des émissions de CO₂, et milite pour une réforme structurelle du pilotage écologique. Rencontre avec un dirigeant qui veut faire de la donnée un levier d’action et non plus une contrainte.


Informations Entreprise : Quelles sont les principales limites des données environnementales actuelles utilisées par les territoires pour piloter leur transition écologique ?


David Duccini (CEO de ORIGINS.EARTH) : Aujourd’hui, les territoires qui souhaitent piloter leur transition écologique se heurtent à trois limites majeures. La première concerne l’obsolescence des données : les chiffres disponibles datent souvent de trois ans. C’est une contrainte liée aux méthodes de calcul actuelles, qui sont normées au niveau européen et techniquement complexes. Ensuite, ces données sont théoriques et basées sur des estimations, pas sur des mesures réelles. C’était pertinent pour initier la démarche, mais dès qu’on veut aller plus loin, il faut affiner avec des données concrètes.


Angélica Centanaro (Responsable Développement de ORIGINS.EARTH) : Enfin, les données ne sont pas spatialisées. On ne sait pas précisément quels quartiers, infrastructures ou zones sont les plus émissifs. Pourtant, la technologie permettrait aujourd’hui une géolocalisation fine des émissions. À cela s’ajoute une dimension déclarative : les informations transmises par les acteurs économiques ne sont ni vérifiées ni contrôlées. Cela limite fortement la capacité d’action ciblée des territoires.


En quoi les technologies actuelles peuvent-elles transformer la manière dont les collectivités pilotent leur transition écologique ?


A.C. : Aujourd’hui, les technologies doivent permettre aux collectivités de répondre à trois besoins fondamentaux. Le premier, c’est d’évaluer concrètement l’impact des politiques publiques. Lorsqu’une ville décide, par exemple, de fermer les berges à la circulation, elle doit pouvoir démontrer, chiffres à l’appui, les résultats environnementaux de cette décision. C’est indispensable pour associer les citoyens aux changements de mode de vie qu’on leur demande.


Ensuite, cette évaluation ouvre la voie à une véritable planification : on peut identifier les actions efficaces et les reproduire, au bon endroit et au bon moment, pour maximiser les résultats. C’est une logique d’optimisation inspirée de l’industrie. Enfin, il faut oser tester les nouvelles technologies de mesure. Elles révèlent parfois des écarts de 30 % avec les données déclaratives habituelles. Cela peut déstabiliser, mais c’est une étape nécessaire pour construire un pilotage fiable et précis de la transition écologique.

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Quels sont les freins principaux à l’adoption des innovations technologiques par les collectivités locales en France ?

D.D. : L’Europe regorge d’innovations, et la France, en particulier, est un véritable vivier technologique. Les investisseurs ne s’y trompent pas : le pays attire de nombreux projets, avec des solutions souvent à la pointe. Mais du côté des administrations publiques, nous faisons face à une grande difficulté structurelle. Ce n’est pas une question de volonté ou de compétence individuelle, mais bien d’organisation.


Le système des marchés publics est aujourd’hui peu adapté pour intégrer efficacement des technologies émergentes. Cela implique de remettre en question des méthodes héritées du passé et d’oser faire confiance à des approches nouvelles. Or, cette confiance est encore difficile à instaurer. Nous avons souvent rencontré des collectivités convaincues par notre solution, mais freinées par un manque d’organisation interne. Sans structure dédiée ou département pour porter l’innovation, les meilleures technologies restent à la porte. La transition écologique passe aussi par une transition organisationnelle.


En quoi la plateforme MétéoCarbone de ORIGINS.EARTH change-t-elle la manière dont les collectivités peuvent piloter la réduction de leurs émissions de CO₂ ?


A.C. : Avec MétéoCarbone, nous apportons une réponse concrète aux trois grandes limites rencontrées par les territoires : l’obsolescence, la théorie et l’absence de spatialisation des données. Notre plateforme permet de mesurer en temps réel les concentrations de CO₂ avec une précision de cent mètres. Cela signifie que les collectivités disposent enfin de données fraîches, quotidiennes, et non plus vieilles de trois ans. Nous ne sommes pas dans le déclaratif, mais dans la mesure directe, ce qui renforce la fiabilité des informations.


Grâce à la modélisation fine que nous proposons, les élus peuvent localiser précisément les sources d’émission, évaluer l’impact réel de leurs politiques publiques, et décider où concentrer leurs efforts. Cette capacité à suivre, analyser et projeter transforme leur manière d’investir : on peut désormais savoir si une action écologique a été réellement efficace et, si oui, la reproduire là où elle aura le plus d’impact.


Vous mentionnez l’ouverture de votre offre aux industriels. Quelles opportunités identifiez-vous pour étendre votre modèle au secteur privé ?


D.D. : L’industrie, aujourd’hui, fonctionne d’abord sous l’impulsion du cadre réglementaire. C’est la règle du jeu. Beaucoup de dirigeants industriels nous disent apprécier profondément notre technologie — ils en comprennent le sens, la pertinence, la nécessité. Mais en parallèle, ils nous répondent : je ne suis pas obligé, donc je ne le fais pas. Ce positionnement est rationnel : tant qu’une action n’impacte ni leur conformité réglementaire ni leur rentabilité, elle reste optionnelle.


Il existe toutefois une dynamique émergente autour du volontariat, notamment à travers les crédits carbone, la séquestration, ou les engagements pris par des géants comme Microsoft ou Google. Mais bâtir un marché sur une base purement volontariste reste fragile : cela dépend de la rencontre entre une offre ambitieuse et une demande motivée. C’est pourquoi nous ciblons les industriels pionniers, ceux qui veulent avancer avant les autres, malgré l’absence de contrainte ou de retour immédiat sur investissement.

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Quelle vision portez-vous sur le rôle de l’État et de la finance carbone dans l’accélération de la transition écologique des territoires ?


A.C. : Aujourd’hui, nous militons pour que la mesure des émissions carbone ne soit plus laissée à l’initiative isolée des territoires, mais portée par une démarche nationale structurée. Il est impératif que l’État puisse équiper chaque collectivité d’outils de suivi précis, au moins au kilomètre près, afin que chaque maire sache clairement où se situent les enjeux sur son territoire. D’autres pays avancent déjà : l’Allemagne, par exemple, déploie un réseau national de capteurs, financé par des fonds publics, complété par des prestataires privés agissant localement. C’est une organisation intelligente, scalable et économiquement raisonnable.


D.D. : Par ailleurs, la réglementation doit évoluer pour intégrer la finance carbone à l’échelle locale. Une ville qui prouve, mesures à l’appui, qu’elle réduit ses émissions doit pouvoir valoriser cette action sur le marché carbone. Ce n’est qu’en connectant la technologie de mesure à des leviers économiques concrets que la transition écologique deviendra systémique et soutenable.


Quel rôle voyez-vous pour l’Europe dans la structuration d’un modèle de transition écologique fondé sur la mesure et la finance carbone ?


D.D. : Il ne faut pas oublier le rôle central que joue l’Europe dans la transition écologique. L’Union européenne reste aujourd’hui un acteur pionnier dans le suivi et la réduction des émissions. C’est elle qui fixe les grandes orientations, notamment en répartissant les objectifs de décarbonation entre les États membres. La France, par exemple, définit ses propres trajectoires à partir de ces directives européennes.


Dans cette dynamique, l’Europe pourrait également être un moteur de deux leviers clés : une coordination nationale plus structurée du suivi des émissions, et une montée en puissance de la finance carbone à l’échelle territoriale. Ces dimensions doivent encore s’articuler plus clairement, mais le cadre européen est là, et il évolue dans la bonne direction. Il est donc essentiel de reconnaître que, dans un système encore en construction, l’Europe reste le socle commun qui structure et oriente l’ambition climatique des États membres.

 
 
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