L'instrumentation nucléaire au cœur de la sûreté européenne
- Charlotte Combet
- il y a 17 heures
- 4 min de lecture
Les exigences de sûreté nucléaire et de sécurité radiologique n’ont jamais été aussi élevées, alors que l’Europe relance sa dynamique industrielle et que de nouveaux réacteurs voient le jour. Spécialiste de l’instrumentation de haute précision, Bertin Technologies s’impose comme un interlocuteur clé pour accompagner ces mutations. Entre innovation technologique, maîtrise du risque et renforcement de la souveraineté industrielle, le groupe multiplie les initiatives pour répondre aux défis d’un secteur en pleine transformation.
Informations Entreprise : Quels sont, selon vous, les principaux défis liés à l’instrumentation pour les nouveaux réacteurs SMR et AMR ?
Irfan Hasan (Directeur Délégué Commerce Nucléaire & Radioprotection de Bertin Technologies) : Aujourd’hui, avec l’émergence des SMR (Small Modular Reactors) de génération 3, qui sont des technologies conventionnelles miniaturisées, et des AMR (Advanced Modular Reactors) de génération 4, encore en cours de développement, un enjeu majeur est celui du downsizing de l’instrumentation.
Même si la taille change, les exigences de sûreté resteront identiques à celles des grands réacteurs. Cela inclut le contrôle en fonctionnement normal, avec de l’instrumentation intégrée au bâtiment réacteur, la surveillance de l’enveloppe pour éviter tout rejet, la radioprotection des travailleurs, même s’ils seront moins nombreux, et enfin le contrôle environnemental des rejets extérieurs, imposé par la réglementation. Nous sommes convaincus que la réussite de ces nouvelles technologies passera par leur acceptabilité auprès du public, ce qui implique de démontrer leur sûreté de manière irréfutable. L’instrumentation sera donc un élément clé pour garantir cette transparence et cette confiance.
De ce constat, comment se compose l’offre Bertin Technologies ?
Céline Wolf (Directrice de la Business Unit Bertin Instruments) : Chez Bertin Technologies, nous sommes pleinement engagés dans le secteur nucléaire, qui constitue l’un des piliers historiques de notre groupe, aux côtés de la défense, de la sécurité civile, du spatial et des grands instruments scientifiques, de la santé et des sciences du vivant.

Dans ce domaine, notre priorité est d’assurer le maintien en condition opérationnelle des installations, en garantissant leur performance et leur sécurité sur le long terme. En tant que groupe européen, nous poursuivons notre développement, notamment à travers des acquisitions stratégiques, comme récemment VF Nuclear en République tchèque, afin d’élargir notre soutien aux exploitants nucléaires, y compris pour les nouveaux projets en construction.
Par ailleurs, nous jouons un rôle essentiel dans la surveillance radiologique de l’environnement grâce à nos systèmes de détection déployés en Europe et à l’international, qui permettent d’identifier toute anomalie ou menace potentielle. Aujourd’hui, l’industrie attend à la fois des solutions pour la production d’énergie décarbonée et des dispositifs de contrôle fiables et performants.
Quelle est la logique stratégique derrière l’acquisition de VF Nuclear ?
C.W. : L’acquisition de VF Nuclear par Bertin Technologies n’est pas un hasard : cela fait des années que nous collaborons sur de nombreux sujets. Cette opération s’inscrit pleinement dans notre stratégie d’ancrage industriel en Europe, au service de la réindustrialisation et de l’innovation sur la scène nucléaire. VF apporte une contribution majeure à cet ancrage, avec une complémentarité géographique – eux très présents à l’Est, nous à l’Ouest – et une complémentarité technologique remarquable.

Là où nous proposons des portiques de contrôle pour l’accès aux sites, VF est reconnu pour ses portiques de contrôle à l’intérieur des sites. Sur la surveillance radiologique de l’air, VF maîtrise des systèmes classés sûreté, déployables jusque dans les réacteurs, tandis que nous couvrons la surveillance mobile et chantier. Ensemble, nous offrons désormais une gamme complète d’instruments de référence mondiale, répondant à tous les enjeux de sûreté, sécurité et réglementation, sur petits et grands réacteurs.
Quelles sont aujourd’hui les exigences technologiques pour la détection et l’identification des sources radioactives ?
C.W. : Dans notre domaine, la performance ne se limite pas à la simple détection d’une activité radioactive, mais s’étend à la capacité de reconnaître précisément les espèces radiologiques en présence. Il ne suffit pas de savoir qu’il y a un becquerel détecté : il faut aussi identifier s’il s’agit de césium, de radon, de cobalt ou d’une autre source, pour comprendre l’origine du rayonnement.
C’est tout l’enjeu de la spectrographie, que nous maîtrisons à travers des algorithmes qualifiés, capables de différencier une radioactivité naturelle, industrielle ou liée à une menace. Nous travaillons à améliorer en permanence ces algorithmes et nos capteurs pour gagner en précision, en rapidité d’analyse et en fiabilité. L’intelligence artificielle ouvre ici
de nouvelles perspectives, notamment pour analyser d’importants volumes de données en temps réel et affiner la reconnaissance des spectres, ce qui alimente plusieurs projets stratégiques que nous menons actuellement.
Comment Bertin Technologies adapte-t-elle ses technologies et savoir faire pour répondre à la montée des exigences en matière de sûreté et aux nouveaux besoins industriels ?
C.W. : Notre expertise vient d’une industrie, le nucléaire défense, où le niveau d’exigence et les référentiels de sûreté n’ont jamais cessé de se renforcer. Concevoir des équipements robustes, fiables, disponibles en toutes circonstances, c’est notre quotidien. Aujourd’hui, cette exigence s’étend à d’autres secteurs comme la sécurité civile, qui demande des technologies performantes et adaptées. Grâce à notre expérience dans le nucléaire, nous sommes armés pour répondre à ces besoins spécifiques. Face à l’évolution des installations nucléaires – prolongation de vie, constructions neuves, SMR – nous adaptons nos solutions et nos organisations, notamment via nos synergies européennes avec des partenaires comme VF.
I.H. : L’enjeu est double : développer des capteurs toujours plus précis pour identifier la nature des menaces, et proposer des équipements ergonomiques, faciles à utiliser, qui répondent aussi aux attentes en matière de productivité. Nous renforçons ainsi notre cœur de métier, sans jamais diluer notre expertise.
Comme évoqué, nous structurons nos activités autour de quatre grands pôles stratégiques. D’abord, le nucléaire et l’instrumentation, qui englobe le nucléaire civil et militaire, le contrôle radiologique, la surveillance environnementale et le contrôle aux frontières, mais aussi la sécurité civile.
Ensuite, le pôle défense et sécurité, avec des solutions dédiées à la protection et à la sûreté. Nous avons également une activité forte autour des grands instruments scientifiques et du spatial, un secteur où les enjeux d’instrumentation sont majeurs, notamment avec l’essor de la conquête spatiale, la militarisation de l’espace ou encore les télécommunications.
Enfin, nous investissons dans les sciences du vivant et le médical, un domaine qui a démontré son importance stratégique et souveraine, notamment durant la crise du Covid. Ces quatre pôles forment un ensemble cohérent, qui nous permet de répondre aux grands défis technologiques et industriels d’aujourd’hui et de demain.